La langue basque, objet d'etude en Europe
Tout au long du XIXe siècle, l'usage de l'euskera cède du terrain,
tout particulièrement dans le monde rural, en Navarre et surtout en
Araba. Le centralisme de Madrid et de Paris, l'absence d'intérêt de
la jeune bourgeoisie urbaine et industrielle vis-à-vis de la langue
basque et le résultat des guerres carlistes (1833-1876) avec l'abolition des fueros en 1876, sont responsables de ce déclin, qui se produit
également dans les chefs-lieux de province comme Pampelune
et Bilbao. En Pays basque nord, quoique le nombre de bascophones
se maintienne, l'euskara décline à son tour. Paradoxalement, en
pleine époque romantique, l'euskera retrouve un regain d'intérêt
parmi les intellectuels et dans le monde de la culture en Europe. On
le considère désormais comme un joyau linguistique digne d'intérêt et sur lequel il convient de faire des recherches.
146. C'est le moment de plus grande fragmentation de la langue dans
la mesure où chaque auteur, en l'absence de norme, utilise son propre
dialecte. Martín Duhalde dans ses Meditacioneac (1809) sera l'un
des premiers à poser la question de l'adaptation des normes orthographiques
aux caractéristiques de l'euskara. 147. Le linguiste allemand Wilhelm von Humboldt, (Potsdam, 1767-
1835) sera le premier à diffuser des informations exactes sur l'euskara
dans les cénacles culturels européens. On peut dater de ce moment l'é-
tude scientifique de la langue. A la même époque, le prince Louis
Lucien Bonaparte se consacre lui aussi à l'étude de la langue basque,
notamment de ses dialectes. 148. Victor Hugo (Besançon, 1802-1885) qui était un habitué du Pays
Basque fit preuve en toutes circonstances d'une remarquable sensibilité
envers sa langue et sa culture : J'ajoute qu'ici un lien secret et profond
que rien n'a pu rompre unit, même en dépit des traités (…), même
en dépit des Pyrénées (…) tous les membres de la mystérieuse famille
basque. On naît basque, on parle basque, on vit basque et l'on meurt
basque. La langue basque est une patrie, j'ai presque dit une religion. 149. Joseph Agustín Xaho (Atharratze, 1811-1858). Journaliste, historien
et philologue, fait ses études à Paris. Il publie ses premières oeuvres,
en français et en basque. Républicain de conviction, athée, il regagne
sa terre natale pour s'engager en politique, dans le camp carliste. Il se
rendra célèbre par sa création du mythe du patriarche Aitor. Il s'inté-
resse dans ses textes à de nombreux thèmes, des études grammaticales
à l'histoire, en passant par la philosophie et le roman. En 1848, il lance
le premier journal en langue basque Uscal-Herrico Gaseta. 150. Les deux héros de Carmen (1895), célèbre opéra de Georges
Bizet d'après le roman de Prosper Mérimée, sont bascophones.
Carmen, la bohémiennne et cigarière, est originaire d'Etxalar et José
Lizarragabengoa, d'Elizondo (Baztan). 151. Antoine Thompson d'Abbadie, scientifique, explorateur, astronome
et philologue (Dublin, 1810-1897) sera un infatigable voyageur et promoteur
de la culture en euskara. De son domaine à Hendaye, il se fait
l'instigateur à Urrugne en 1853 des Fêtes Euskaras, qui réunissent chaque
année des festivals littéraires, musicaux et des joutes de bertsolaris. Ces
fêtes ont le mérite de réunir la force basque, le marché, les banquets et
les choeurs. Les Fêtes Euskaras recueillent un grand succès jusqu'en
1899. Elles bénéficient de la participation de nombre d'intellectuels basques
de l'époque que d'Abbadie a l'idée d'associer à l'évènement. 152. A partir de 1996, la Députation de Gipuzkoa décerne le prix
Abbadia, à des personnalités ou des institutions qui se mettent en
évidence pour encourager l'euskara dans la société. 153. Juan Inazio Iztueta, (Zaldibia, 1767-1845) écrit l'un des premiers
recueils de folklore en Europe, Gipuzcoaco dantza gogoangarriak eta
Gipuzkoaco condaira (1824), qui rassemble des chants et danses traditionnels.
Ecrivain, poète, folkloriste, bertsolari, il représente l'esprit de
nombreux amoureux de l'euskara à leur époque, soucieux du déclin de
la langue et des persécutions à son encontre. 154. Pierre Loti et son univers des Basques. Sa vie et son oeuvre littéraire
représentent l'esprit romantique, épris d'une image idyllique de la
culture basque. 155. Au XIXe siècle, l'émigration basque en Amérique grandit au
point de prendre d'importantes proportions, notamment en Pays Basque
nord. Pour des raisons économiques, mais aussi pour échapper à
la conscription obligatoire des campagnes napoléoniennes. On estime
qu'entre 1832 et 1907, près de cent mille personnes abandonnent
le Pays basque nord. L'émigration en Amérique coïncide avec la
création des premiers centres basques à l'étranger : Laurak Bat à Montevideo
(1876), à Buenos Aires (1877) et à La Havane (1878), et Euskaldunak
Orok Bat à Rio de Janeiro (1881). 156. A la même époque apparaissent les bertso-papera ou feuilles
volantes imprimées, qui reproduisent les strophes les plus applaudies
dans les concours de bertsolaris. Ces derniers sont très recherchés
sur les foires, les fêtes et les marchés. Ils favorisent l'apprentis-
sage et la transmission de nombreuses compositions, et des bertsolaris
du XXe siècle comme Xenpelar ou Bilintx connaissent une
popularité sans précédent. 157. Les armées anglaise et française utilisent l'euskara pour diffuser leurs communiqués dans les terres basques qu'ils occupent. Ce sera le
cas du duc de Wellington à Baigorri et à Bidarrai (1814) ou du général
français Reille à Pampelune, où il offre, en 1811, une récompense de sei
milla duro, hagradezimentutako edo preziotako (six mille duros en gratitude
ou en paiement) pour le guérillero Espoz y Mina. 158. Parmi les figures poétiques du romantisme tardif en Pays basque,
nous avons Pierre Topet dit Etchahoun (Barcus, Soule, 1786-1862),
auteur de chants lyriques qui reprennent toute une vie accidentée au
cours de laquelle il connut la prison, la trahison et l'errance : Mundian
malerusik, Bi berset dolorusik, Etxahunen bizitziaren khantoria et
Ahaide delezius huntan. 159. Dominique Joseph Garat (1749-1833), conseiller de Napoléon,
présente dans un rapport à ce dernier en 1811 la proposition de création
d'un Etat national basque réunissant les 7 provinces sous la houlette
de l'empereur. Le projet de Nouvelle Phénicie, qui devait avoir
l'euskara comme unique langue, fait long feu. 160. Le roman Peru Abarca, de Juan Antonio Moguel, est publié en 1880,
après plusieurs interdictions. Dans cet ouvrage, le basque appartenant au
dialecte occidental entre de plain-pied dans le domaine littéraire.