Jalgi hadi mundura! (Qu’il s’ouvre au monde !)
A l'aube du XVIIe siècle, différents facteurs, entre autres la domination
de la Castille sur tous les territoires bascophones de la péninsule
conduisent au démantèlement progressif de la structure sociale
qui maintenait l'euskara en usage. Ecarté du domaine public par
de caractère obligatoire du castillan dans le royaume d'Autriche,
voire poursuivi comme langue du diable, le basque se trouve cantonné
à la population illettrée, repoussé des sphères de pouvoir. En
Iparralde (Pays basque continental), cependant, le moment économique
et culturel permet à l'euskara au XVIIe siècle de se développer
en tant que langue écrite, commerciale et littéraire. Il lui permet
aussi de s'étendre au-delà de ses frontières.
107. Henri III de Navarre, Henri IV de France. 108. Henri III, fils de Jeanne D'Albret, hérite du trône de Navarre en
1572. Il est couronné Roi de France sous le nom d'Henri IV. Il maintient
la cour de Navarre à Pau, et William Shakespeare, son contemporain,
fera état de son admiration pour les Basques en situant
dans ce pays son oeuvre Love's Labour's Lost, (1594). 109. Pau. Palais des rois de Navarre. 110. Shakespeare, (1564-1616). 111. Représentation actuelle de l'oeuvre de Shakespeare, Love's
Labour's Lost. Shakespeare's Globe Theatre, Londres. 112. Les Basques étaient présents sur la côte du Labrador, à Terre-neuve
et dans l'estuaire du Saint-Laurent. Remontant jusqu'à la ville de
Québec, ils chassaient la baleine, pêchaient la morue et commerçaient
avec les Amérindiens avec lesquels ils échangeaient peaux de
castor, d'ours, de loup, de renard, de loutre et de marthe. Sur le littoral,
la toponymie arrivée jusqu'à nous montre l'empreinte laissée par
l'euskara : Barachois, Etxaldeportu, Pointe-Navarre, Port-aux-Basques,
L'île aux Basques. Les Innus, les Hurons ou les Mik'Maq qui traitaient
avec les Basques développèrent une langue particulière pour communiquer,
un jargon algonquin mâtiné d'euskara, dont on trouve des références
bien documentées. Apaizac hobeto! (les curés, mieux!), répondaient
les natifs quand les marins basques les saluaient par la fomule
d'usage Nola zaude ? (comment allez-vous ?). 113. Aujourd'hui au Québec, on emploie le mot orignal, qui vient d'o-
reina (cerf en euskara) transmis pendant des siècles par les peuples autochtones.
Signal indiquant le passage d'orignal sur une route du Québec. 114. Centre de commerce de peaux. Mission jésuite à Tadoussac,
sur le fleuve Saint-Laurent. 115. Castor. 116. Le Labourd se distingue dans la production littéraire en euskara au
XVIIe siècle. Le commerce avec l'Amérique et la chasse à la baleine
apportent la prospérité aux populations côtières de ce territoire. On voit se
profiler une riche bourgeoisie basque qui finit par s'alphabétiser en euskara,
utilisant cette langue comme langue véhiculaire. Langue parlée,
l'euskara devient incontournable à l'écrit : lettres commerciales et privées,
dictionnaires et manuels de vétérinaire ou de navigation, comme le
manuel Ixasoco nabigacionecoa (Bayonne, 1677), écrit en labourdin par
le capitaine et cartographe Detxeberri Dorre. Mais nous devons signaler
également le premier guide de conversation euskara-français-espagnol
Tresora hirour lenguaietaqua (1620), de Voltoire. 117. La chasse à la baleine par les Basques. 118. Axular. Pedro Agerre Azpilkueta (Urdazubi, 1556-1644), curé
de Sare, est l'auteur de Gero (1643), un classique de la littérature
basque au lexique riche et vivant. Aux côtés de nombre d'hommes
d'église, Axular appartient à l'importante Ecole littéraire de Sare qui
réunit Etxeberri, Materre, Aranburu, Harizmendi, Argiñaratz,
Pouvreau et Hirigoiti. Quoique ses livres aient été écrits pour la diffusion
populaire du catholicisme face au protestantisme, ils joueront
un rôle décisif dans l'épanouissement littéraire en contribuant
à la normalisation de l'euskara au début du XVIIe siècle. 119. 119. Au commencement du XVIIe siècle, la persécution de l'hérésie et de
la sorcellerie en Europe est à son apogée. La France désigne un grand
inquisiteur en Labourd en la personne de Pierre de Lancre, qui jugera
3.000 personnes. Il en fera brûler plus de 600. Le Saint Office qui s'insta-
lle en 1609 à Logroño lance une brutale persécution contre ce qu'il qualifie
de "sorcellerie basque". Des milliers de personnes sont poursuivies et
traduites en jugement. L'ignorance et l'aversion à l'égard de la langue basque
permettent de lancer de fausses accusations et de manipuler les
témoignages. Ils parlent une langue étrange que le démon lui même n'a
pu apprendre, écrit De Lancre. La terminologie des accusations en euskara
– organiser des akelarres, adoration de l'akerbeltz– sont autant d'ex-
pressions qui passeront dans d'autres langues. 120. Navire du XVIIe siècle 121. Des corsaires basques fréquentent l'océan Atlantique, comme
Joannes Suhigaraitxipi, de Bayonne, ou Etienne Pellot, d'Hendaye,
qui meurt en 1694 en tentant de protéger une expédition de baleiniers,
au retour de Terre-Neuve. 122. Fuyant la misère, défavorisés par le droit d'aînesse, ils partaient
nombreux tenter la fortune en Amérique. 123. Soeur Juana Inés de la Cruz (Neplanta, Mexique 1651-1695),
écrivaine et fille du militaire Pedro Manuel Asbaje, originaire de
Bergara, est considérée l'une des meilleures poétesses mexicaines.
Intelligente et cultivée, son oeuvre comprend des allusions à son
ascendance basque et des vers en euskera. 124. A partir du Moyen Age, la présence du pouvoir castillan dans
la vie politique de Gipuzkoa, de Bizkaia et d'Araba ne cesse de se
faire plus pesante. La langue castillane est obligatoire dans toute
l'administration et la justice, dans certains métiers. Egalement pour
exercer des charges publiques, comme membre des assemblées de
Bizkaia (1613) ou maire au Gipuzkoa (1571). 125. Arnaud Oihenart, (Mauléon 1592-1667), l'un des rares écrivains
séculiers en euskara du XVIIe siècle. Juriste, homme politique,
historien, essayiste, poète et critique littéraire, il voulut rapprocher
la poésie en langue basque des standards cultes de son époque. De
son oeuvre en latin, en français et en euskara, on retiendra Notitia
utriusque Vasconiæ, tum ibericæ, tum aquitanicæ (Paris, 1638), une
tentative pour écrire l'histoire de tous les Basques; O'ren gastaroa
neurthitzetan, avec ses poésies amoureuses; Atsotitzen urrhenkina,
une compilation de proverbes et L'Art poétique, essai dans lequel il
passe en revue la littérature écrite.