Au chapitre précédent nous n'avons pas menttionné l'un des chemins de fer à voie métrique les plus singuliers du Gipuzkoa, le train de l' Urola. Cet oubli est délibéré, car ce chemin de fer réunit une série de circonstances qui le font différent du reste: il mérite un chapitre à lui tout seul.
A la différence des autres chemins de fer de la province et du reste du pays, celui de l' Urola doit son origine à l'initiative publique. Mais il fut en outre la dernière voie ferrée construite dans la province, et ce fut aussi la dernière à fermer. Son tracé soigné, ses travaux de génie civil ou la splendide architecture de ses gares font de lui un train spécial qui mérite une étude plus approfondie.
Le premier projet de chemin de fer entre Zumárraga et Zumaia fut conçu en 1887 par l'illustre ingénieur Pablo de Alzola à la demande des communes de la vallée de l'Urola. Étant donné le caractère purement local de la ligne, ce fut Alzola lui-même qui recommanda la construction de cette ligne à voie métrique, bien qu'il fut un ferme défenseur des lignes à voie large, comme nous l'avons vu au chapitre précédent.
Le chemin de fer projeté s'accrochait au maximum au terrain de la vallée de l'Urola, en proposant des courbes de 60 mètres de rayon, à l'instar de celles de la ligne de Durango à Zumárraga, tronçon qui poserait plus tard de grands problèmes à la Compagnie des Chemins de Fer Vascongados à cause de leur extrême dureté.
Bien que le projet fut bon marché, la faible population de la vallée et son industrialisation limitée ne semblaient pas suffisantes pour garantir la viabilité d'un chemin de fer, et le capital ne montra aucun intérêt.
Au début du siècle, et afin de rompre l'isolement dans lequel était plongée la vallée de l'Urola, on demanda la construction d'un tramway électrique qui relierait Azkoitia et Zumaia, mais ce projet n'arriva pas non plus à se matérialiser.
En 1908 la Loi sur les Chemins de Fer Secondaires et Stratégiques fut promulguée; elle garantissait l'intérêt du capital investi et d'intéressantes subventions: le chemin de fer de Zumárraga à Zumaia fut inclus dans ce plan.
En 1910 la Compagnie de Fer Vascongados chargea l'ingénieur Manuel Alonso Zabala (qui avait pris part aux travaux du Topo et du Plazaola ) de rédiger un nouveau projet, plus doux que celui conçu par Alzola.
Les enchères pour accorder la concession eurent lieu en 1915 après l'approbation du projet, mais le faible budget n'attira aucun enchérisseur, même pas la Société des Chemins de Fer Vascongados, entreprise qui avait montré jusqu'alors un grand intérêt.
Le Conseil Général du Gipuzkoa considéra toujours ce chemin de fer comme fondamental pour compléter le réseau ferroviaire provincial, une fois terminés les travaux du Vasco-Navarro, auxquels elle prit une part active. L'Urola était alors la seule vallée importante de la province qui n'était pas desservie par le chemin de fer, avec des villes comme Azkoitia, Azpeitia et Zestoa, et des pôles d'attraction touristique comme le Sanctuaire de Loyola et la station thermale de Zestoa. C'est pourquoi elle offrit publiquement des aides et des subventions importantes à l'entreprise qui voudrait bien prendre en charge la concession. Mais ses efforts furent vains car le capital ne montra non plus aucun intérêt.
Étant donné le manque d'intérêt que présentait la ligne pour les entreprises privées, et craignant que le chemin de fer de l' Urola n'arriva pas à se réaliser, le Conseil Général décida de prendre l'initiative et de demander la concession pour construire et exploiter lui-même la ligne. Mr. Julian Elorza, originaire d'Azpeitia et alors Président du Conseil Général, fut le promoteur de cette initiative.
En vertu de l'Ordre Royal du 5 octobre 1920, le Conseil Général obtint la concession et chargea Manuel Alonso Zabala de la direction des travaux.
L'on voulut à tout moment assurer à la ligne le meilleur parcours possible, ce qui exigea la construction de 10 ponts et de 29 tunnels sur une ligne d'à peine 36 kilomètres, à cause du terrain accidenté. Le rayon minimum des courbes était de 120 mètres, le double de ce qui avait été prévu par Alzola. Cela faciliterait l'exploitation et permettrait d'obtenir des vitesses plus grandes.
Des machines à air comprimé furent utilisées pour la perforation des tunnels. A cette époque les compresseurs portatifs utilisés aujourd'hui n'existaient pas; pour le trajet compris entre Urretxu et Azkoitia on installa donc six centrales de compression reliées par un tuyau sous pression avec des prises d'air tous les trente mètres.
Bien qu'au début l'exploitation de la ligne avait été prévue pour la traction à la vapeur, l'intérêt d'appliquer l'électricité apparut bientôt, non seulement pour éviter les fumées désagréables dans les tunnels, mais surtout parce que les unités électriques pouvaient être dirigées par une seule personne; on économisait ainsi du personnel en supprimant le chauffeur. Cet investissement était très intéressant pour un chemin de fer qui n'allait pas produire d'importants bénéfices.
Le grand jour arriva enfin. Le Roi Alfonso XIII se rendit à Zumárraga la matinée du 22 février 1926 par le chemin de fer du Nord pour inaugurer la nouvelle ligne. Il monta sur les modernes unités électriques construites à Saragosse et à Beasain et entreprit le voyage en s'arrêtant à toutes les gares du parcours, où le Roi et le nouveau moyen de transport étaient acclamés par la population. A Azpeitia, les autorités visitèrent les bureaux, les dépôts eta la centrales électrique, où fut découverte une magnifique plaque commémorative qui est encore conservée. Le cortège continua ensuite jusqu'à Zumaia, où la locomotive électrique de l' Urola qui tirait du train fut remplacée par une locomotive à vapeur, puisque les Chemins de Fer Vascongados n'avaient pas encore électrifié leur ligne.
A Donostia, la locomotive à vapeur fut remplacée par une électrique du Topo qui entraîna le convoi sur les rails du tramway d'Hernani jusqu'à la Place de Gipuzkoa. Au siège du Conseil Général on répéta les discours et on offrit un banquet dont nous tenons à citer le menu:
Hors d'oeuvres variés
Oeufs brouillés Régente
Saumon de la Bidassoa, sauce tartare
Terrine de foie à la Sainte Alliance
Petits pois frais bonne femme
Poulet d'Urrestilla
Urrestillako oilanda-kozkorra
Salade Italienne
Fruits assortis
Gâteau mille-feuilles
Petits fours variés
Le tout bien arrosé avec des vins rouges de Rioja Alta de 1904 et du champagne Cordon Rouge de 1913, y compris les cafés, les liqueurs et les cigares.
L'inauguration fut à la hauteur de ce qui avait été construit. Un tracé extrêmement favorable qui peut encore être contemplé et où ressort le passage difficile d'Azkoitia à Urretxu: tandis que la route suit de près le sinueux cours d'eau, le chemin de fer suit son chemin tout droit, en franchissant les difficultés par une interminable succession de ponts et de tunnels.
Les gares étaient également à la hauteur des circonstances, toutes différentes et dessinées par le fameux architecte Ramón Cortázar dans le style du pays. L'électrification, les rails, les trains, tout était en somme d'une qualité extraordinaire. Le Conseil Général ne ménagea aucun effort pour construire un chemin de fer à voie étroite modèle en son genre.
Cependant, pour assurer l'avenir d'un chemin de fer, il ne suffit pas de l'équiper avec les meilleures installations. Il est également fondamental d'investir de façon adéquate dans son entretien. Malheureusement il n'en fut pas ainsi et en 1986, année de fermeture de la ligne, les mêmes trains d'il y a soixante ans continuaient de fonctionner sur les rails usagés posés en 1925.
Par ailleurs, les bénéfices de la ligne furent toujours maigres, et rare était l'année où le bilan économique n'était pas négatif.
En 1985, à la suite de l'approbation de la Loi sur les Territoires Historiques, le Conseil Général du Gipuzkoa transféra au Gouvernement Basque un chemin de fer de l' Urola moribond. Il fallait prendre une décision rapide sur son avenir, car ses trains ne réunissaient plus les conditions minimum nécessaires à la sécurité du service.
Le choix était difficile. Il s'agissait soit de moderniser le chemin de fer en procédant à sa reconstruction totale, ce qui exigeait un gros investissement, soit remplacer le train par un service routier à frais plus réduits.
Finalement, malgré les hésitations initiales, malgré les timides travaux de modernisation entrepris en 1986 et malgré l'opposition de vastes secteurs de la population, on décida de supprimer le chemin de fer.
Peut-être bien qu'à l'heure actuelle cette décision aurait été différente, mais malheureusement le train de l' Urola circula pour la dernière fois le 16 juillet 1986. Sa fermeture définitive fut décidée le 5 février 1988.