Le territoire historique du Gipuzkoa, sur la route la plus courte entre le centre de la Péninsule Ibérique et le continent européen, présente à la frontière de la Bidassoa le passage naturel le plus simple pour franchir la barrière gigantesque de la chaîne pyrénéene.
Cette situation géographique privilégiée, liée à l'existence de bons ports sur la côte, a favorisé depuis le Moyen-Age l'implantation et l'amélioration des communications. C'est pourquoi il n'est pas surprenant que l'une des premières grandes lignes de chemin de fer projetée en Espagne ait touché justement notre territoire historique.
En 1845, trois ans avant l'inauguration du premier chemin de fer espagnol entre Barcelone et Mataró, la Reine Isabel II accordait aux forces vives de la Biscaye une concession pour l'étude, la construction et l'exploitation d'un chemin de fer qui relierait la capitale du Royaume avec la frontière de la Bidassoa en passant par Bilbao.
Bien que nos voisins engagèrent à cet effet un ingénieur anglais renommé, Alexander Ross, qui était l'un des pionniers de la construction de voies ferrées dans son pays, l'envergure économique du projet ainsi que l'instabilité politique de l'époque empêchèrent cette voie ferrée de se matérialiser.
Dix ans plus tard était promulguée la première Loi Générale des Chemins de Fer, qui allait régir tous les aspects à leur sujet, y compris les subventions de l'état et autres privilèges.
Ce nouveau cadre législatif favorisa définitivement la construction des chemins de fer en Espagne, en attirant le capital, surtout étranger, vers ce type d'entreprises. C'est ainsi que commence la construction des lignes qui constituent encore aujourd'hui celles de la Compagnie RENFE.
L'une des principales voies ferrées à construire était celle qui devait relier la capitale de la nation et la frontière française, et qui attira bientôt l'intérêt de plusieurs sociétés. Finalement, en 1856, la Société pour le Crédit Mobilier Espagnol, dont le capital était français pour la plupart, obtint la concession; cependant, cette concession ne définissait que le tracé à suivre entre Madrid et un point indéterminé du fleuve Ebro, sans expliquer par où il devait passer depuis ce point jusqu'à la frontière.
C'est ainsi que les Biscaïens proposèrent la construction du tracé étudié par Alexander Ross, qui arrivait à Bilbao et longeait la côte jusqu'à Irun. En revanche, les ressortissans de la Rioja défendaient le tracé par Belorado et Haro vers Vitoria, et de là jusqu'à la frontière, tandis que les navarrais proposaient d'arriver à Pampelune pour atteindre la frontière par le passage pyrénéen des Aldudes.
Convocation
Voici arrivé le moment, si vivement souhaité, de voir terminés les rapports de cette Province avec le Crédit Mobilier et de signer le contrat qui donne naissance aux travaux de la voie ferrée du Nord, qui va être mise en exploitation jusqu'à Villafranca dans un délai de quatre ans.
L'occasion est solennelle: il s'agit de la vie ou la mort du pays. La voie ferrée l'acheminera vers une plus grande prospérité; sans son aide, le pays n'aura aucun avenir et sa ruine sera inévitable. Tout le monde est conscient que d'autres ports souhaitent obtenir rapidement cet avantage, et qu'il est indispensable de suivre leur rythme ou bien de se résigner à tout perdre.
Mais cette entreprise, première nécessité de notre époque, exige les efforts de nous tous. Il y a quarante-quatre ans notre peuple était effondré, et poutant ses enfants, au milieu de la misère et de l'abandon où ils étaient plongés, ont transformé ces ruines en une ville nouvelle. La constance et la confiance ont remporté un triomphe total en un bref laps de temps. Ce que nous demandons pour le chemin de fer n'est pas aussi important qu'alors, ni les circonstances des contribuables dont nous faisons appel au patriotisme ne sont plus les mêmes. Ferez-vous moins que ce qui fut fait en 1815? Un tel manque d'enthousiasme serait funeste.
La somme de vingt-cinq millions de réaux constitue l'engagement que la Province a contracté. Il s'agit d'une avance parfaitement garantie, qui gagne six pour cent d'intérêt annuel. Nous acceptons toute souscription jusqu'à 2000 réaux, à payer en dix versements pendant quatre ans; l'intérêt de chaque versement sera payé dès l'instant où il sera versé au Crédit Mobilier. Cette formule de paiement facilite énormément les souscriptions. Combien de personnes doit-il y avoir dans cette Ville, qui, toutes seules ou associées à d'autres, peuvent rendre un service aussi insigne!
La Province appelle ses enfants, les ressortissants du Gipuzkoa, ainsi que ceux qui ont de la sympathie pour ce pays; et cette Ville doit appuyer, et appuiera sans nul doute chaleureusement, un objectif aussi grandiose. Les corporations, en ouvrant la souscription dont elles ont la charge, espèrent que leurs administrés accorderont une preuve insigne de l'amour que leur inspire l'honneur et les intérêts de leur peuple.
La Province donne le premier exemple en souscrivant quatre millions de réaux, et la Commune en fait autant avec trois cents mille réaux.
Que personne ne s'abstienne parce que son offrande est inférieure à celle d'un autre: toutes ont leur mérite. Que chacun apporte son obole au patrimoine commun, car c'est la seule manière de nous sauver de la catastrophe qui nous menace.
Hâtons-nous d'écouter la voix de la Province qui veut nous conduire sur le chemin du progès, et ne gâchons pas le moment le plus précieux pour faire le meilleur des biens. Il n'y a rien de plus honorable que la bonne et agréable mémoire des générations futures: l'oubli est le néant. N'attirons pas sur nous le malheur, justement quand il dépend de nous que notre pays existe ou pas. Notre indifférence d'aujourd'hui le ruinerait pour toujours.
Vous trouverez ci-joint la circulaire de la Province avec le contrat; les Corporations vous invitent à remettre le certificat où figure la somme que vous souhaitez souscrire, au Secrétariat de la Mairie avant le 20 de ce mois.
A San Sebastian le 7 janvier 1858.
Pour la Commune, son Président
Pour l'Assemblée des Commerçants, son Vice-Président Angel Gil de Alcain, Bernardo de Alcain.
Le Conseil Général du Gipuzkoa comprit l'importance du futur chemin de fer pour le développement de son économie et pour l'articulation du territoire. C'est pourquoi, avec le support des institutions d'Alava, elle présenta sa propre alternative: un chemin de fer qui, à partir de Miranda, pourrait parcourir la plaine d'Alava pour pénétrer dans le territoire du Gipuzkoa à proximité d'Etxegarate. La voie ferrée proposée passerait par Zumarraga, Beasain, Tolosa et Donostia pour atteindre la frontière à Irun.
Étant consciente que l'avenir du Gipuzkoa dépendait en grande mesure du tracé finalement choisi pour le chemin de fer du Nord, le Conseil Général mandata Mr. Fermin Lasala et Mr. Luis de Mariategui pour négocier à Paris auprès du Crédit Mobilier Espagnol. Les négociations ne furent pas faciles, mais finalement nos institutions atteignirent leur objectif, en échange quand même d'une subvention de 25 millions de réaux.
Afin de réunir le capital nécessaire, le Conseil Général ouvrit une souscription populaire à laquelle participa en grande partie le capital envoyé par les émigrants, enfants de la province résidant à Cuba. Malgré la distance, un bon nombre de ressortissants du Gipuzkoa suivaient habituellement les affaires de leur terre natale.
Dans une grande joie, les travaux du premier chemin de fer du Gipuzkoa étaient mis en marche le 22 juin 1858 à Donostia et à Tolosa simultanément. Pendant ce temps, le Crédit Mobilier Espagnol avait transféré la concession à sa filiale, la compagnie des Chemins de Fer du Nord de l'Espagne. Le nouveau concessionnaire nomma Mr. Letorneur ingénieur en chef pour la direction des travaux.
Les travaux ne trouvèrent presque pas d'obstacles dur la plaine d'Alava, et le premier train entre Miranda de Ebro et Olazagutía circula le 15 avril 1862; en revanche, au Gipuzkoa, les petits entrepreneurs locaux ne savaient pas comment affronter les travaux des nombreux tunnels et ponts du parcours. En fait, bien que le 1er septembre 1863 circulèrent les premiers trains entre Beasain et Donostia, et que le parcours de Donostia à Irun entra en service le 18 octobre, les travaux du tronçon Olazagutía-Beasain avançaient très lentement, paralysés dans certains chantiers.
Craignant de ne pouvoir conclure les travaux, la Compagnie du Nord renonça à poursuivre les travaux avec la collaboration des sociétés locales, et eut recours à la société française Gouin et Cie., filiale elle aussi du Crédit Mobilier, qui disposait des moyens matériels et humains nécessaires.
Cette entreprise venait tout juste de finir la construction d'un chemin de fer transalpin au Piémont italien; elle avait donc l'expérience suffisante pour affronter le passage de nos montagnes. De sa main arrivèrent au Gohierri plus de mille Piémontais, rompus à la dure tache de perforer des tunnels dans les entrailles de la terre. Ils apportèrent au coeur du Gipuzkoa de nouvelles habitudes, dont un grand nombre sont profondément enracinées dans les sentiments de notre peuple. Nous faisons notamment référence à la Trikitixa ou au sport rural du tronçonnage à la scie. Lorsque les travaux furent finis, beaucoup de piémontais restèrent au Gipuzkoa, et il existe encore aujourd'hui dans le Gohierri des noms d'origine italienne. D'autres s'en allèrent avec leur entreprise vers d'autres grands travaux publics, et plus d'un habitant du Gohierri avec eux. Il n'est donc pas étonnant que le comptable des travaux du canal de Suez fut originaire de Tolosa.
Finalement, la main de l'homme fut en mesure de vaincre les obstacles que présentait la nature au passage du train. Il fallut perforer plus de 14.224 mètres de tunnels, qui supposent plus de 15% de la longueur de la ligne. Il fut également nécessaire d'ériger des ponts spectaculaires, comme celui d'Ormaiztegi, qui avec ses 289 mètres de longueur et ses 34 mètres de hauteur, ont donné sa propre personnalité à un paysage et à un village qui s'identifie aujourd'hui avec son viaduc.
Le 14 août 1864, l'ouverture définitive du chemin de fer du Nord était solennellement célébrée sur les quais de la gare de Donostia. Les actes, présidés par le roi consort Francisco de Asís, furent accompagnés par des fêtes populaires et des feux d'artifice. Au Gipuzkoa la joie était générale. Après des années de lutte, le chemin de fer était une réalité. Le lendemain, le roi poursuivit son voyage jusqu'à Paris; dorénavant, la Province comptait sur un élément indispensable qui allait favoriser le développement de son industrie naissante et le début de l'expansion du port de Pasajes.
Avec le temps, la Compagnie du Nord allait améliorer ses premières installations. La gare d'Irun allait être remarquablement élargie, tandis que les quais de celle de Donostia se couvriraient d'une marquise construite dans les ateliers de Gustave Eiffel. Les rails primitifs furent remplacés pour la première fois en 1884 par de nouvelles barres en acier, beaucoup plus résistantes.
En 1887 le Sudexpress, doyen des trains européens, qui allait de Paris à Madrid et Lisbonne, passait pour la première fois. Le changement de siècle connaîtrait la pose des deux voies, qui était indispensable étant donné la croissance généralisée du trafic ferroviaire.
Mais les travaux de renouvellement les plus importants réalisés par la Compagnie du Nord furent l'électrification de la ligne en 1929. Grâce à elle, on supprimait la fumée désagréable des trains et on améliorait surtout la vitesse des rames sur les fortes pentes de la montée vers Alsasua. Elle permit en outre de créer un service dense de banlieue qui favorisa notamment le développement urbain des villes et villages bénéficiés par son passage.
La Compagnie des Chemins de Fer du Nord de l'Espagne continua de rendre ses précieux services au Gipuzkoa jusqu'à sa nationalisation après la guerre civile. A partir du 2 février 1941, RENFE prenait la relève. Au cours de ses 77 années d'activité, elle apporta d'immenses bénéfices à la province et devint la véritable colonne vertébrale du territoire. Un simple regard sur la carte suffisait pour constater que les zones au plus grand développement urbain et industriel étaient situées le long de la voie ferrée; il est donc possible d'assurer que l'investissement effectué par le Conseil Général en 1858 fut vraiment une réussite.