Défendre la maison du père
Protéger la ferme avec l’aide du ciel
&L’on raconte que la maison avait pour les basques un caractère sacré de temple familial, mais cependant ce concept religieux du foyer, très répandu parmi les peuples anciens, s’est dilué très rapidement jusqu’à s’éteindre au cours du siècle dernier. Fort heureusement certains ethnographes, comme José Miguel de Barandiarán, arrivèrent encore à temps pour le capter avant sa disparition à la veille de la Guerre Civile espagnole, lorsqu’il faisait encore partie d’une structure organisée de rites et de croyances. Les éléments magiques chrétiens s’y entremêlaient avec d’abondantes références plus primitives appartenant à un univers mythique naturaliste bien enraciné.
&Beaucoup de ces pratiques –qui survivent encore en partie comme gestes traditionnels, bien que sans leur contenu de foi chrétienne– avaient pour but d’invoquer le ciel ou d’autres forces invisibles pour protéger la maison et la famille qui y habitait.
&Qui pouvait menacer la vie de la ferme? Les dangers réels ou imaginaires qui effrayaient les paysans du Gipuzkoa étaient nombreux. Le plus terrible était la foudre, qui provoquait tous les ans plusieurs incendies dans la Province; mais aussi la jalousie ou la mauvaise volonté des voisins, qui pouvait entraîner quelque maléfice qui rende malade la famille ou le bétail. La présence d’étrangers, de sorcières –lamiak- et d’autres personnages fantastiques devait être conjurée par des rites appropriés pour leur éviter d’altérer la tranquilité du foyer.
&La sécurité était obtenue en plaçant dans la maison des signes et des objets qui agissaient comme des talismans protecteurs. Un grand nombre étaient de type chrétien, comme par exemple les anagrames “IHS” qui furent fréquents sur les arcades de fermes du début du XVIème siècle, et la croix, qui apparaît sous différentes variantes selon les époques: croix de pierre au faîtage du toit, petites croix bénites en bois clouées aux portes, croix peintes à la chaux autour des fenêtres et finalement, croix taillées sur les poutres et les linteaux.
&Certaines plantes et arbustes avaient également des vertus de protection. Surtout le laurier, dont les branches accompagnaient la ferme dès l’instant où la toiture s’achevait. La fleur du chardon était considérée comme très efficace pour faire fuir les mauvais esprits et l’on croyait que l’aubépine avait la capacité d‘éloigner la foudre.
Unis contre le feu
&Les rites magiques n’étaient pas suffisants pour éviter que la foudre ou un simple accident domestique fussent fréquemment à l’origine d’un incendie et de la destruction totale des fermes. Pour pallier à ces désastres, l’on créa depuis les plus anciens temps des associations volontaires d’assurances mutuelles où chacun des associés s’engageait à apporter une certaine somme d’argent afin d’aider à reconstruire le bâtiment sinistré. L’une des plus anciennes fut celle fondée par un groupe de propriétaires d’Azpeitia en 1541 à travers l’”Escritura de Concordia en razón de los incendios de casas y sus reparos” (“Ecriture de Concorde en raison des incendies des maisons et leurs réparations”), et une autre, qui fut de longue durée et à laquelle vinrent s’associer quelques laboureurs de Biscaye, l’”Hermandad de Casas Germadas”, Confrérie créé à Bergara en 1657, et qui comptait plus de trois-cents fermes associées vers la moitié du XVIIIème siècle.
&Les sommes perçues par ce système étaient importantes et permettaient d’affronter avec une certaine aisance la réédification de la ferme ruinée. Afin d’éviter les fraudes, la personne qui recevait l’indemnité devait construire en un bref délai une ferme complète de dimensions et de qualité régulières; elle ne devait pas se contenter d’effectuer quelques réparations ou d’ériger une cabane. Les propriétaires des fermes en location avaient l’habitude d’inclure les cotisations de l’assurance contre incendies dans les paiements de fermage, de telle façon qu’ils étaient couverts face à toute éventualité sans aucun effort économique de leur part.
Fermes à l’épreuve d’incendies
&Dans la bataille contre le feu, certaines solutions architectoniques qui furent adoptées dès le début du XVIème siècle pour protéger les fermes du Gipuzkoa furent beaucoup plus efficaces que les exhortations et les prières.
&L’une des plus repandues pendant cette période fut celle de créer un mur intérieur isolant les chambres du reste du logis, surtout des foyers d’incindie les plus habituels comme la cuisine et l’étable. Dans l’étable notamment, l’éclairage avec des lampes à huile et la présence du bétail parmi de grands tas de fougères sèches constituaient une combinaison mortelle. Tous les éléments combustibles étaient exclus de la fabrication du mur coupe-feu qui séparait les chambres à coucher, et même la porte qui le traversait, fermée à clef pendant la nuit, n’était pas en bois, mais en tôle de fer rivetée.
&A partir des dernières années du XVIIème siècle, la diffusion des éléments en pierre de la structure des fermes rendit plus difficile la propagation des incendies à l’intérieur, et la construction d’un mur mitoyen transversal solide qui faisait les fonctions de coupe-feu se fit fréquente.
&Toutes les fermes du Gipuzkoa gagèrent en sécurité, mais aucune n’alla si loin dans l’adoption de mesures de prévention comme la maison Larrañaga d’Urrestilla. Cette ferme centenaire brûla en Février 1711 et son propriétaire, le tailleur de pierres Martin d’Abaria, voulu s’assurer qu’elle ne brûlerait jamais plus; de telle façon qu’il chargea le maître Lázaro de Laincera de s’occuper d’un projet déconcertant dans lequel aussi bien les supports que les sols et les plafonds devaient être en pierre. Le résultat fut un bâtiment unique en son genre, avec vingt-et-une voûtes de types différents à l’intérieur mais qui reproduit fidèlement les fonctions et l’image extérieure d’une ferme normale.